Les animaux totémiques, une tradition dans l’Hérault

Qu’entend-on par totem ?

C’est la représentation d’un « vivant » qui incarne l’esprit d’un lieu, d’un clan ou d’un groupe de personne : « L’appellation « Totem » est le mot moderne pour désigner les animaux jupons, les bêtes de toile, les effigies animées qui incarnent l’esprit d’un lieu »1.

C’est un rapport spirituel que l’on retrouve entre un groupe social et son totem. Il est représenté par une statue, une construction et donne lieu à différents rituels.

Le totémisme nous est expliqué par Claude Lévi-Strauss dans son premier ouvrage Le Totémisme aujourd’hui, qui a marqué un tournant, silencieux mais décisif, dans l’ethnologie. « Le terme totémisme recouvre des relations idéalement posées, entre deux séries, l’une naturelle, l’autre culturelle. La série naturelle comprend d’une part des catégories, d’autre part des individus ; la série culturelle comprend des groupes et des personnes. Tous ces termes sont arbitrairement choisis pour distinguer, dans chaque série, deux modes existence, collectif et individuel, et pour éviter de confondre les séries. »

Il en découle donc une réalité culturelle dans la considération des totems par une civilisation, un groupe social. Le totem ne peut exister sans histoire culturelle, sans patrimoine, sans ce besoin pour les individus de représenter l’inexistant par un symbole. C’est bien l’identité de personne d’un lieu d’une histoire.

Qu’en est-il en Occitanie ?

En Occitanie on retrouve les animaux totémiques, totems d’une cité ou d’un lieu depuis le XVème siècle. Les animaux totémiques font partie intégrante des fêtes traditionnelles. Symboles de leurs villes respectives, ces animaux fantastiques jouent un rôle important lors des fêtes votives et des manifestations culturelles. Ainsi, de nombreux villages sont associés à un animal totem qui a sa propre légende et son histoire. Pour beaucoup, ces histoires remontent aux légendes du Moyen-Âge, apportant là le mauvais augure, ici la chance.

Voici les plus connus :

Le Chameau de Béziers : l’origine serait liée à la légende de Saint-Aphrodise, premier évêque de la ville venu d’Egypte à dos de chameau au IIIème siècle.

La Chèvre de Montagnac : vers 1200, la femme du consul de Montagnac souffrait d’un mal étrange qui semblait incurable. Vint alors un homme, accompagné d’une jolie chèvre blanche dont le lait avait pour particularité d’être magique et de guérir toutes les maladies. Le vieil homme céda sa chèvre contre de bons soins, et à condition qu’elle soit nourrie uniquement de sarments et de raisins pour conserver les pouvoirs miraculeux de son lait !

Le Poulain de Pézenas : en route pour les croisades, Louis VIII fit halte à Pézenas. Sa jument étant malade, il décida de la confier aux villageois jusqu’à son retour. Après de longs mois de croisades, le roi revint à Pézenas, et découvrit avec stupeur que sa jument était en vie, et qu’elle avait donné naissance à un poulain. Louis VIII, pour remercier les villageois des soins prodigués à sa jument, leur offrit un poulain en bois qui, depuis, participe aux fêtes de la ville.

Le Bœuf de Mèze : son histoire remonte à l’an 59 de notre ère. Une pauvre famille, venue des environs de Béziers, vint s’installer sur les bords de l’étang de Thau. Elle vivait chichement de pêche mais aussi du travail dans les champs avec ses deux bœufs. Grâce à eux, une urbanisation débuta, créant le village portuaire de Mèze. Les deux bœufs hélas moururent. Il fut alors décidé de conserver la peau du plus beau des deux ; sa dépouille fut conservée comme relique, placée sur un mannequin de bois.

L’Âne de Gignac : au Moyen-Âge vivait à Gignac un âne très petit. Il était la risée du village à cause de sa petite taille. Pourtant, il était vaillant et courageux, au point qu’un soir, il donna l’alerte à l’ensemble du village par ses ruades énergiques et ses braillements. Il venait à lui seul de donner la fuite à des pillards sarrasins qui tentaient d’assiéger Gignac. Dès lors, le petit âne Martin devint le symbole de la ville.

Quelles formes prennent-ils ?

On retrouve ces animaux totémiques lors des fêtes populaires : ce sont alors des bêtes plutôt amusantes. Leur forme est parfois très libre et fantaisiste, tout comme leur couleur. Il s’agit le plus souvent de constructions en bois, recouvertes d’une toile colorée ou simplement peinte, qui sont portées pour déambuler dans les rues d’une ville ou d’un village lors de processions.

Chaque animal répond à un rituel et est accompagné de musiciens (hautbois traditionnels, tambours…). Ces musiciens jouent un air propre à chaque animal, et les porteurs, dirigés par un-e meneur-euse doivent respecter ces codes musicaux. Un proverbe local dit « Sans sa musica lo totem n’a ni nica ni nhaca » (sans sa musique et ses musiciens le totem manque de jeux et d’entrain).

En fonction de la structure, l’animal est porté par un nombre de personnes (le plus souvent des hommes) plus ou moins important.

Il peut être observé que c’est une chance pour certains jeunes d’être porteurs. Issus pour certains des clubs de rugby de la ville, nous retrouvons souvent une fierté de porter l’animal totémique de sa ville. Les personnes des générations plus anciennes ont une certaine admiration si l’animal est bien porté, « s’il a bien dansé ».

Depuis plusieurs siècles, on peut voir que les traditions totémiques se sont transmises de génération en génération.

En Languedoc-Roussillon, on remarque depuis une trentaine d’années la naissance de nouveaux animaux totémiques.

Pour que ces nouveaux animaux soient intégrés dans le rite collectif de la communauté, on a créé les « batejadas » (baptêmes) lors desquels un animal totémique plus ancien est invité pour parrainer le nouveau venu.

Aujourd’hui il existerait une soixantaine d’animaux totémiques en région Languedoc-Roussillon. Vous pourrez d’ailleurs retrouver l’inventaire de l’ensemble des animaux du bas Languedoc en suivant ce lien proposé par la Fédération TOTEMIC https://totemic.occitanica.eu/fr/accueil/

Ces animaux totémiques sont souvent acteurs principaux de grandes fêtes populaires, suivis par les habitants pour qui ils représentent une valeur symbolique de la ville. Aujourd’hui les totems ont perdu leur caractère religieux mais ils continuent de représenter la mémoire collective.

Par la naissance de ces nouveaux animaux totémiques, on peut voir une envie des habitants de se regrouper afin de transmettre un Patrimoine Vivant.

Par cela nous pouvons voir que l’animal Totem est bien une pratique populaire qui a pour identités la fête et le rassemblement.

Si vous souhaitez approfondir ce sujet, voici une courte bibliographie :

  • Les animaux de la fête occitane (tome 1 et 2) – Claude Alranq_Vincent Roussillat
  • Les Animaux de la Fête Occitane – Claude Alranq – Editions du Mont, 2015.
  • Poulains et Bestiaires Magiques – Claude Achard – Atelier Tintamarre, 2011.

1 Claude Alranq, comédien, auteur dramatique, metteur en scène et conteur français. Chercheur dans le domaine de l’ethno-scénologie